zadhand
10/01/2016, 20h11
A la une/Histoire _30e anniversaire de la mort du premier Président du GPRA
le 10.01.2016
Ferhat Abbas
Homme d'Etat
20775
Ferhat Abbas, né le 24 août 1899 à Bouafroune dans l'actuelle
commune d'Ouadjana et mort le 24 décembre 1985 à Alger,
est un leader nationaliste et homme d'État algérien.
Naissance : 24 août 1899, Chahna, Algérie
Décès : 24 décembre 1985, Alger, Algérie
Formation : Université d'Alger
Parti Politique : Front de libération nationale
Livres : Le Manifeste du peuple algérien: Suivi du Rappel
au peuple algérien, plus…
Entreprise Fondée Par Union démocratique du manifeste algérien
Ferhat-Mekki Abbas
Une tranche d’histoire méconnue
Une grande partie du combat du premier Président du gouvernement provisoire
de la République algérienne (GPRA) demeure méconnue des Algériens.
Mieux encore, des imprécisions relatives au nom, à la date et au lieu de naissance
de cette personnalité illustre continuent d’être relevées.
20774
Plus connu sous le nom de Ferhat Abbas, l’homme de conviction s’appelle Ferhat-Mekki Abbas.
Ce grand homme n’est pas né le 24 octobre 1899 à Mechta Chahna. Selon l’acte de naissance n°729 du registre original des actes de naissance de l’année 1899, feuille 93, signé par Henry Marseille, adjoint de l’administrateur de la commune mixte de Taher, l’illustre moudjahid est né le 24 août 1899 à Bouafroune (dans l’ex-commune mixte de Taher, à Jijel(1), une mechta montagneuse
de la Kabylie des Babors, une région des plus rudes d’Algérie.
L’obstination de deux hommes, Boukefous Nouredine Ben Embarek et Mokhtar Fennour(2), vient corriger ces incorrections. Les éditions Larousse et Hachette ont répondu et procédé aux rectificatifs. Malheureusement, des institutions nationales, telles l’université Sétif 1, qui porte le nom de cet homme politique de poigne, n’ont toujours pas corrigé l’erreur. D’une incommensurable valeur historique, des faits d’armes jusque-là tus seront, à l’occasion du 30e anniversaire de la mort du vaillant, dévoilés…
Ainsi, le 25 décembre 1935, l’agrément du Cercle de l’éducation est déposé à la sous-préfecture de Sétif. Présidé par Ferhat-Mekki Abbas, ce cercle — qui comprenait Mostefaï El Hadi, Messaï Lakhdar, Touabti Hocine, Nechadi Abderrahmane, Saâdna Youcef, Hasnaoui Lahcene, Salhi Lakhdar, Djahiche Douadi, Lami Lamara, Fadli Hocine, Mahdadi Toumi et Kara Lakhdar — est créé pour des conférences privées et d’ordre religieux.
Officieusement, c’est une tribune syndicale et politique. La débordante activité du Cercle, situé en face de l’ex-collège Eugène Albertini (actuellement lycée Mohamed Kerouani), intrigue l’autorité coloniale, qui épie les faits et gestes du zaïm, vénéré
par ses concitoyens. Prenant de l’ampleur, ses compagnons n’en sont pas exemptés.
Le 24 novembre 1938, le sous-préfet de l’arrondissement de Sétif instruit, par la note n°9175, les renseignements généraux de la police de la ville d’avoir à l’œil le Cercle ainsi que les mouvements de ses membres, n’étant ni plus ni que des militants du Mouvement national en pleine effervescence. Dans son rapport du 27 novembre 1938 n°11 876, le commissaire dresse succinctement le profil politico-social du comité du Cercle, dénommé en outre Nadi Abbas, souligne qu’ils étaient tous des fervents partisans
de la politique de Abbas et du docteur Bendjelloul de Constantine.
Fustigeant la politique du général Catroux, ayant succédé à Peyrouton à la tête du gouvernement général, Abbas est arrêté puis assigné à résidence surveillée à Tabelbala (Béchar) du 25 septembre au 2 décembre 1943.
Même malade, Il est craint
Sur arrêté du préfet du département d’Alger, Muscatelli, le délégué financier, Abbas est astreint à résider jusqu’à nouvel ordre dans le centre de Tabalbala. Lors de sa détention, le Tigre se fracture la cheville. En raison de complications, il est évacué vers l’hôpital de Béchar. Ce transfert fait l’objet d’un premier télégramme top-secret n°00 241 du 8 octobre 1943) transmis au gouverneur général d’Algérie. En plus d’un traitement, la blessure nécessite une radiographie. Le tout est effectué sous une surveillance particulière, comme stipulé dans ledit message, rendu public pour la première fois. Jugée sérieuse, la blessure exige une hospitalisation.
Même physiquement affaibli, il est craint par ses geôliers.
Lesquels sont dans l’obligation de prendre des mesures exceptionnelles. Le lendemain, un deuxième télégramme (n°00 242) est transmis à Alger, informé de sa mise en isolement (à l’hôpital) afin d’éviter tout contact avec la population indigène. Venus féliciter le gouverneur général d’Alger pour la victoire des Alliés, le leader nationaliste et son ami le docteur Saâdane sont arrêtés dans le salon d’attente du gouverneur, le 8 mai 1945 à 10h30. Mis au secret, il n’apprennent la tragédie du Constantinois que deux semaines après.
Un non-lieu après 11 mois d’enfer
Auparavant, le juge d’instruction militaire lui avait notifié son inculpation pour «atteinte à la souveraineté française» (décret Régnier). Puis une seconde inculpation d’«atteinte à la souveraineté intérieure de l’Etat» lui est notifiée. Enfin, il doit répondre à une troisième inculpation, celle d’«atteinte à la souveraineté extérieure de l’Etat».
Il passe entre les mains de trois juges d’instruction militaires et est interné dans quatre prisons. Injustement qualifié d’agitateur, l’ex-journaliste, signant ses papiers sous le pseudonyme Kamel Abencerage, dément formellement : «J’affirme sur l’honneur, je jure devant Dieu que les Amis du Manifeste sont étrangers aux émeutes de Sétif et que nous avons les mains nettes de tout sang humain.» Convaincu par l’argumentaire de Abbas et de ses deux codétenus, le docteur Ahmed Saadane et Taleb Bachir dit cheikh Brahimi, n’ayant commis ni crime ni délit, le juge d’instruction militaire au tribunal militaire de Constantine les innocente onze mois après. Le 16 mars 1946, il prononce un non-lieu. Rendu public pour la première fois depuis plus de 70 ans, ce nouvel élément discréditant de fort belle manière la thèse de colons qui ont voulu mettre le drame de mai 1945 sur le dos de Abbas, est versé dans le volumineux dossier du «mardi noir».
Le combat de son épouse Marcelle
Inconnue du grand public, native de Bouinan (Blida), Marcelle Stoetsel a non seulement rompu avec son milieu, mais lié son destin à celui de son époux. Pendant plus de 40 ans de mariage, cette grande dame s’est illustrée par son courage et son tempérament ; elle a partagé les joies, les peines et les déboires du zaïm. Sa relation avec Abbas est la cause de son incarcération,
quelques jours après le déclenchement de la tragédie du 8 Mai 1945.
Dans un premier temps, elle est arrêtée et enfermée à la prison d’El Harrach avec les condamnées de droit commun. Elle y restera un mois, puis elle sera emmenée au camp d’Akbou, une caserne désaffectée où étaient détenues des femmes d’origines italienne et allemande. Après la fermeture de ce camp, en janvier 1946, elle est placée en résidence surveillée à Relizane, alors qu’une telle mesure avait été supprimée par la levée de l’état de siège. Elle ne retrouve la liberté qu’à la faveur de la loi d’amnistie votée le 2 mars 1946…
Quand Abbas tacle René Mayer
En 1952, René Mayer, vice-président du Conseil, ministre des Finances et des Affaires économiques du gouvernement René Pleven, se rend à Sétif où il rencontre les élus locaux. Devant la mairie, Ferhat Abbas satisfait un mendiant qui lui demande l’aumône. Narquois, René Mayer dit : «Vous avez de nombreux clients.»
Egal à lui-même, Abbas rétorque avec conviction : «Monsieur le Président, ce sont ces gens-là qui chasseront la France.» L’histoire donnera raison au zaïm. Des années plus tard, Mayer le reconnaîtra. En 1967, lors d’une rencontre à Paris, René Mayer lui avoue : «La France et ses hommes ont été incapables d’imaginer ce que vous aviez prévu.»
Le ralliement
Se rendant à l’évidence que la modération et le discours politique ne riment à rien face à un système colonial impitoyable, le chef de l’UDMA durcit le ton. Lors de son discours prononcé le 15 avril 1955 à Jijel, il décoche : «Il n’y a qu’un seul personnage qui soit hors la loi en Algérie, c’est le régime colonial lui-même.» Le 31 mars 1956, il quitte Sétif non sans instruire ses partisans de rallier en masse l’insurrection armée. Le 26 avril 1956, en compagnie d’Ahmed Francis, il rejoint Le Caire où il annonce publiquement son ralliement au FLN.
En signe de représailles, l’autorité coloniale place sous scellés sa pharmacie, sa maison et le Cercle de l’éducation où il prononça en mars 1954, un discours mémorable : «L’Algérie est devenue une immense forêt d’injustice. Que peut faire le petit bucheron dans cette forêt d’injustice ? Ce qu’il faut c’est l’incendie, le grand incendie.»(3) En prenant part à l’insurrection, Abbas intégrait dans la Révolution algérienne les principes de 1789, faisant ainsi basculer la bourgeoisie algérienne dans la lutte armée…
La démission qui fait date
Sentant venir l’ère du totalitarisme et des dérives de la pensée unique, l’homme, qui honnissait les compromis et les compromissions, démissionne de la présidence de l’Assemblée nationale constituante, le 13 août 1963.
En bon démocrate, il écrit à ses collègues : «En raison de divergences de points de vue sur la procédure d’organisation définitive des pouvoir publics en Algérie et de mon désaccord fondamental sur la nature des ces pouvoirs, j’ai l’honneur et le regret de vous remettre ma démission de Président de votre Assemblée…» Le député de Sétif ne s’arrête pas là, il rédige le 12 août 1963, une lettre de 12 pages, intitulée «Pourquoi je ne suis pas d’accord avec le projet de Constitution établi par le gouvernement et le bureau politique».
Adressée aux députés, la missive n’est pas arrivée, semble-t-il, à bon port. Vu la pertinence de son contenu, plus que jamais d’actualité 52 ans après, nous avons jugé utile de reproduire le dernier paragraphe d’un document à lire et à analyser : «Depuis l’indépendance, le peuple n’a pas encore été une seule fois librement consulté. Il est temps de le faire participer à la vie publique.
Il est temps qu’il retrouve son enthousiasme et sa foi. Ce peuple sait voter. Il l’a hautement prouvé. Il a surtout su résister, pendant sept ans, à l’une des plus grandes armées du monde. Il a acquis par son héroïsme le droit de choisir ses représentants et de se donner le gouvernement de son choix. Nous devons lui faire confiance.
Et même s’il se trompait, cette erreur serait moins grave de conséquences que le fait de le museler
et de lui imposer une camisole de force. Il a mérité mieux que cette suprême injure.»
Ferhat Abbas et l’islam
Pour ses détracteurs, l’homme évolué et émancipé qu’il était incarnerait non seulement l’Occident mais serait si loin de l’islam. Alors que, dès sa tendre jeunesse, il a été envoyé à l’école coranique d’Errekiba à Bouafroune dans la grande tribu des Beni Affer. Dans cette médersa, il apprit plusieurs versets coraniques avant que son père ne l’inscrive à l’école franco-musulmane des Beni Siar,
puis à celle de Taher alors qu’il avait dix ans.
Elevé dans une famille pieuse, conservatrice, il ne pouvait s’en démarquer, encore moins déroger à des traditions ancestrales. N’avait-il pas un jour dit : «L’islam est une partie spirituelle sans frontière qui nous guide du berceau à la tombe, elle assimile les cultures étrangères sans être absorbée par elle. Je suis resté musulman et Algérien par toutes les fibres de mon âme.» Joignant l’acte à la parole, en 1966, Ferhat-Mekki Abbas se rend aux Lieux Saints pour y accomplir le cinquième pilier…
La souveraineté nationale est une ligne rouge
En mai 1974, le premier Président du GPRA se rend à titre personnel au Maroc pour assister aux obsèques de son ami, Allel El Fassi, ancien Premier ministre marocain. Après les funérailles, le roi Hassan II le reçoit. Au cours de cette rencontre, le roi aborde le problème des frontières. «Tindouf est territoire marocain», déclare le souverain.
Ferhat Abbas répond placidement : «Cette région est officiellement partie intégrante de l’Algérie.» Hassan II essaye d’argumenter : «C’est la terre de mes ancêtres.» Mieux outillé, Ferhat Abbas va plus loin : «Naguère, l’Andalousie aussi était celle de nos aïeux !» La réponse du Tigre atténue les ardeurs de son interlocuteur, qui s’interroge : «Quelle est donc la solution ?» «Seule l’union maghrébine pourrait régler ces problèmes», rétorque le pharmacien de Sétif.
Une fois la question bouclée, Hassan II essaye de marchander : «Monsieur le Président, mon défunt père ne m’a toujours dit que du bien de vous et m’a même laissé des consignes vous concernant. Je sais que vous n’êtes pas en odeur de sainteté auprès du régime algérien. Dès lors, installez-vous et ouvrez votre commerce ici, où vous sera en grâce auprès du palais.».
En seigneur n’oubliant pas les sacrifices consentis pour la liberté de son pays, Abbas décline poliment
«Majesté, je vous remercie pour cette faveur.
Vous le savez si bien, j’ai sacrifié presque toute ma vie pour l’indépendance de mon pays que je ne quitterai donc en aucun cas.» Avant de le quitter, il interpelle le souverain sur son état de santé : «Vous avez drôlement maigri...»
«Les vôtres m’ont-ils laissé un brin de répit ?» répond Hassan II.
les vœux non exaucés
Au crépuscule d’une vie consacrée exclusivement et entièrement au service de son peuple, l’on se décide enfin à honorer l’homme, le combattant, le journaliste et le leader des masses reconnaissantes. Le 30 octobre 1984, Abbas Ferhat-Mekki est décoré de la médaille de Résistant. Gravement malade, le grand homme ne peut se rendre à la cérémonie. Alors, le ministre des Moudjahidine, Bakhti Nemiche, se déplace à Kouba (Alger) où réside l’homme à principes.
La distinction intervient au crépuscule d’un incommensurable parcours d’une icône qui prendra congé de ce bas mondeune année après, exactement le 24 décembre 1985. Selon un de ses fidèles compagnons, Amar Guemmache, le Tigre est parti avec un goût d’inachevé : il avait tant souhaité devenir maire de Sétif et être enterré à Sidi El Khier.
1)- Informations appuyées par l’acte de naissance original remis
par Boukefous Nouredine Ben Embarek et Mokhtar Fennour
2)- Deux Jijéliens, défenseurs invétérés de l’incommensurable legs de Ferhat-Mekki Abbas, lesquels ont grandement contribué à la confection de ce dossier
3)- Propos du Moudjahid L. Bennattia, ex-officier supérieur de l’ANP
4)- Photos remises par Mokhtar Fennour et Sedadka Rabah dit Cheikh Nouari, un autre abbassiste
Kamel Beniaiche
le 10.01.2016
Ferhat Abbas
Homme d'Etat
20775
Ferhat Abbas, né le 24 août 1899 à Bouafroune dans l'actuelle
commune d'Ouadjana et mort le 24 décembre 1985 à Alger,
est un leader nationaliste et homme d'État algérien.
Naissance : 24 août 1899, Chahna, Algérie
Décès : 24 décembre 1985, Alger, Algérie
Formation : Université d'Alger
Parti Politique : Front de libération nationale
Livres : Le Manifeste du peuple algérien: Suivi du Rappel
au peuple algérien, plus…
Entreprise Fondée Par Union démocratique du manifeste algérien
Ferhat-Mekki Abbas
Une tranche d’histoire méconnue
Une grande partie du combat du premier Président du gouvernement provisoire
de la République algérienne (GPRA) demeure méconnue des Algériens.
Mieux encore, des imprécisions relatives au nom, à la date et au lieu de naissance
de cette personnalité illustre continuent d’être relevées.
20774
Plus connu sous le nom de Ferhat Abbas, l’homme de conviction s’appelle Ferhat-Mekki Abbas.
Ce grand homme n’est pas né le 24 octobre 1899 à Mechta Chahna. Selon l’acte de naissance n°729 du registre original des actes de naissance de l’année 1899, feuille 93, signé par Henry Marseille, adjoint de l’administrateur de la commune mixte de Taher, l’illustre moudjahid est né le 24 août 1899 à Bouafroune (dans l’ex-commune mixte de Taher, à Jijel(1), une mechta montagneuse
de la Kabylie des Babors, une région des plus rudes d’Algérie.
L’obstination de deux hommes, Boukefous Nouredine Ben Embarek et Mokhtar Fennour(2), vient corriger ces incorrections. Les éditions Larousse et Hachette ont répondu et procédé aux rectificatifs. Malheureusement, des institutions nationales, telles l’université Sétif 1, qui porte le nom de cet homme politique de poigne, n’ont toujours pas corrigé l’erreur. D’une incommensurable valeur historique, des faits d’armes jusque-là tus seront, à l’occasion du 30e anniversaire de la mort du vaillant, dévoilés…
Ainsi, le 25 décembre 1935, l’agrément du Cercle de l’éducation est déposé à la sous-préfecture de Sétif. Présidé par Ferhat-Mekki Abbas, ce cercle — qui comprenait Mostefaï El Hadi, Messaï Lakhdar, Touabti Hocine, Nechadi Abderrahmane, Saâdna Youcef, Hasnaoui Lahcene, Salhi Lakhdar, Djahiche Douadi, Lami Lamara, Fadli Hocine, Mahdadi Toumi et Kara Lakhdar — est créé pour des conférences privées et d’ordre religieux.
Officieusement, c’est une tribune syndicale et politique. La débordante activité du Cercle, situé en face de l’ex-collège Eugène Albertini (actuellement lycée Mohamed Kerouani), intrigue l’autorité coloniale, qui épie les faits et gestes du zaïm, vénéré
par ses concitoyens. Prenant de l’ampleur, ses compagnons n’en sont pas exemptés.
Le 24 novembre 1938, le sous-préfet de l’arrondissement de Sétif instruit, par la note n°9175, les renseignements généraux de la police de la ville d’avoir à l’œil le Cercle ainsi que les mouvements de ses membres, n’étant ni plus ni que des militants du Mouvement national en pleine effervescence. Dans son rapport du 27 novembre 1938 n°11 876, le commissaire dresse succinctement le profil politico-social du comité du Cercle, dénommé en outre Nadi Abbas, souligne qu’ils étaient tous des fervents partisans
de la politique de Abbas et du docteur Bendjelloul de Constantine.
Fustigeant la politique du général Catroux, ayant succédé à Peyrouton à la tête du gouvernement général, Abbas est arrêté puis assigné à résidence surveillée à Tabelbala (Béchar) du 25 septembre au 2 décembre 1943.
Même malade, Il est craint
Sur arrêté du préfet du département d’Alger, Muscatelli, le délégué financier, Abbas est astreint à résider jusqu’à nouvel ordre dans le centre de Tabalbala. Lors de sa détention, le Tigre se fracture la cheville. En raison de complications, il est évacué vers l’hôpital de Béchar. Ce transfert fait l’objet d’un premier télégramme top-secret n°00 241 du 8 octobre 1943) transmis au gouverneur général d’Algérie. En plus d’un traitement, la blessure nécessite une radiographie. Le tout est effectué sous une surveillance particulière, comme stipulé dans ledit message, rendu public pour la première fois. Jugée sérieuse, la blessure exige une hospitalisation.
Même physiquement affaibli, il est craint par ses geôliers.
Lesquels sont dans l’obligation de prendre des mesures exceptionnelles. Le lendemain, un deuxième télégramme (n°00 242) est transmis à Alger, informé de sa mise en isolement (à l’hôpital) afin d’éviter tout contact avec la population indigène. Venus féliciter le gouverneur général d’Alger pour la victoire des Alliés, le leader nationaliste et son ami le docteur Saâdane sont arrêtés dans le salon d’attente du gouverneur, le 8 mai 1945 à 10h30. Mis au secret, il n’apprennent la tragédie du Constantinois que deux semaines après.
Un non-lieu après 11 mois d’enfer
Auparavant, le juge d’instruction militaire lui avait notifié son inculpation pour «atteinte à la souveraineté française» (décret Régnier). Puis une seconde inculpation d’«atteinte à la souveraineté intérieure de l’Etat» lui est notifiée. Enfin, il doit répondre à une troisième inculpation, celle d’«atteinte à la souveraineté extérieure de l’Etat».
Il passe entre les mains de trois juges d’instruction militaires et est interné dans quatre prisons. Injustement qualifié d’agitateur, l’ex-journaliste, signant ses papiers sous le pseudonyme Kamel Abencerage, dément formellement : «J’affirme sur l’honneur, je jure devant Dieu que les Amis du Manifeste sont étrangers aux émeutes de Sétif et que nous avons les mains nettes de tout sang humain.» Convaincu par l’argumentaire de Abbas et de ses deux codétenus, le docteur Ahmed Saadane et Taleb Bachir dit cheikh Brahimi, n’ayant commis ni crime ni délit, le juge d’instruction militaire au tribunal militaire de Constantine les innocente onze mois après. Le 16 mars 1946, il prononce un non-lieu. Rendu public pour la première fois depuis plus de 70 ans, ce nouvel élément discréditant de fort belle manière la thèse de colons qui ont voulu mettre le drame de mai 1945 sur le dos de Abbas, est versé dans le volumineux dossier du «mardi noir».
Le combat de son épouse Marcelle
Inconnue du grand public, native de Bouinan (Blida), Marcelle Stoetsel a non seulement rompu avec son milieu, mais lié son destin à celui de son époux. Pendant plus de 40 ans de mariage, cette grande dame s’est illustrée par son courage et son tempérament ; elle a partagé les joies, les peines et les déboires du zaïm. Sa relation avec Abbas est la cause de son incarcération,
quelques jours après le déclenchement de la tragédie du 8 Mai 1945.
Dans un premier temps, elle est arrêtée et enfermée à la prison d’El Harrach avec les condamnées de droit commun. Elle y restera un mois, puis elle sera emmenée au camp d’Akbou, une caserne désaffectée où étaient détenues des femmes d’origines italienne et allemande. Après la fermeture de ce camp, en janvier 1946, elle est placée en résidence surveillée à Relizane, alors qu’une telle mesure avait été supprimée par la levée de l’état de siège. Elle ne retrouve la liberté qu’à la faveur de la loi d’amnistie votée le 2 mars 1946…
Quand Abbas tacle René Mayer
En 1952, René Mayer, vice-président du Conseil, ministre des Finances et des Affaires économiques du gouvernement René Pleven, se rend à Sétif où il rencontre les élus locaux. Devant la mairie, Ferhat Abbas satisfait un mendiant qui lui demande l’aumône. Narquois, René Mayer dit : «Vous avez de nombreux clients.»
Egal à lui-même, Abbas rétorque avec conviction : «Monsieur le Président, ce sont ces gens-là qui chasseront la France.» L’histoire donnera raison au zaïm. Des années plus tard, Mayer le reconnaîtra. En 1967, lors d’une rencontre à Paris, René Mayer lui avoue : «La France et ses hommes ont été incapables d’imaginer ce que vous aviez prévu.»
Le ralliement
Se rendant à l’évidence que la modération et le discours politique ne riment à rien face à un système colonial impitoyable, le chef de l’UDMA durcit le ton. Lors de son discours prononcé le 15 avril 1955 à Jijel, il décoche : «Il n’y a qu’un seul personnage qui soit hors la loi en Algérie, c’est le régime colonial lui-même.» Le 31 mars 1956, il quitte Sétif non sans instruire ses partisans de rallier en masse l’insurrection armée. Le 26 avril 1956, en compagnie d’Ahmed Francis, il rejoint Le Caire où il annonce publiquement son ralliement au FLN.
En signe de représailles, l’autorité coloniale place sous scellés sa pharmacie, sa maison et le Cercle de l’éducation où il prononça en mars 1954, un discours mémorable : «L’Algérie est devenue une immense forêt d’injustice. Que peut faire le petit bucheron dans cette forêt d’injustice ? Ce qu’il faut c’est l’incendie, le grand incendie.»(3) En prenant part à l’insurrection, Abbas intégrait dans la Révolution algérienne les principes de 1789, faisant ainsi basculer la bourgeoisie algérienne dans la lutte armée…
La démission qui fait date
Sentant venir l’ère du totalitarisme et des dérives de la pensée unique, l’homme, qui honnissait les compromis et les compromissions, démissionne de la présidence de l’Assemblée nationale constituante, le 13 août 1963.
En bon démocrate, il écrit à ses collègues : «En raison de divergences de points de vue sur la procédure d’organisation définitive des pouvoir publics en Algérie et de mon désaccord fondamental sur la nature des ces pouvoirs, j’ai l’honneur et le regret de vous remettre ma démission de Président de votre Assemblée…» Le député de Sétif ne s’arrête pas là, il rédige le 12 août 1963, une lettre de 12 pages, intitulée «Pourquoi je ne suis pas d’accord avec le projet de Constitution établi par le gouvernement et le bureau politique».
Adressée aux députés, la missive n’est pas arrivée, semble-t-il, à bon port. Vu la pertinence de son contenu, plus que jamais d’actualité 52 ans après, nous avons jugé utile de reproduire le dernier paragraphe d’un document à lire et à analyser : «Depuis l’indépendance, le peuple n’a pas encore été une seule fois librement consulté. Il est temps de le faire participer à la vie publique.
Il est temps qu’il retrouve son enthousiasme et sa foi. Ce peuple sait voter. Il l’a hautement prouvé. Il a surtout su résister, pendant sept ans, à l’une des plus grandes armées du monde. Il a acquis par son héroïsme le droit de choisir ses représentants et de se donner le gouvernement de son choix. Nous devons lui faire confiance.
Et même s’il se trompait, cette erreur serait moins grave de conséquences que le fait de le museler
et de lui imposer une camisole de force. Il a mérité mieux que cette suprême injure.»
Ferhat Abbas et l’islam
Pour ses détracteurs, l’homme évolué et émancipé qu’il était incarnerait non seulement l’Occident mais serait si loin de l’islam. Alors que, dès sa tendre jeunesse, il a été envoyé à l’école coranique d’Errekiba à Bouafroune dans la grande tribu des Beni Affer. Dans cette médersa, il apprit plusieurs versets coraniques avant que son père ne l’inscrive à l’école franco-musulmane des Beni Siar,
puis à celle de Taher alors qu’il avait dix ans.
Elevé dans une famille pieuse, conservatrice, il ne pouvait s’en démarquer, encore moins déroger à des traditions ancestrales. N’avait-il pas un jour dit : «L’islam est une partie spirituelle sans frontière qui nous guide du berceau à la tombe, elle assimile les cultures étrangères sans être absorbée par elle. Je suis resté musulman et Algérien par toutes les fibres de mon âme.» Joignant l’acte à la parole, en 1966, Ferhat-Mekki Abbas se rend aux Lieux Saints pour y accomplir le cinquième pilier…
La souveraineté nationale est une ligne rouge
En mai 1974, le premier Président du GPRA se rend à titre personnel au Maroc pour assister aux obsèques de son ami, Allel El Fassi, ancien Premier ministre marocain. Après les funérailles, le roi Hassan II le reçoit. Au cours de cette rencontre, le roi aborde le problème des frontières. «Tindouf est territoire marocain», déclare le souverain.
Ferhat Abbas répond placidement : «Cette région est officiellement partie intégrante de l’Algérie.» Hassan II essaye d’argumenter : «C’est la terre de mes ancêtres.» Mieux outillé, Ferhat Abbas va plus loin : «Naguère, l’Andalousie aussi était celle de nos aïeux !» La réponse du Tigre atténue les ardeurs de son interlocuteur, qui s’interroge : «Quelle est donc la solution ?» «Seule l’union maghrébine pourrait régler ces problèmes», rétorque le pharmacien de Sétif.
Une fois la question bouclée, Hassan II essaye de marchander : «Monsieur le Président, mon défunt père ne m’a toujours dit que du bien de vous et m’a même laissé des consignes vous concernant. Je sais que vous n’êtes pas en odeur de sainteté auprès du régime algérien. Dès lors, installez-vous et ouvrez votre commerce ici, où vous sera en grâce auprès du palais.».
En seigneur n’oubliant pas les sacrifices consentis pour la liberté de son pays, Abbas décline poliment
«Majesté, je vous remercie pour cette faveur.
Vous le savez si bien, j’ai sacrifié presque toute ma vie pour l’indépendance de mon pays que je ne quitterai donc en aucun cas.» Avant de le quitter, il interpelle le souverain sur son état de santé : «Vous avez drôlement maigri...»
«Les vôtres m’ont-ils laissé un brin de répit ?» répond Hassan II.
les vœux non exaucés
Au crépuscule d’une vie consacrée exclusivement et entièrement au service de son peuple, l’on se décide enfin à honorer l’homme, le combattant, le journaliste et le leader des masses reconnaissantes. Le 30 octobre 1984, Abbas Ferhat-Mekki est décoré de la médaille de Résistant. Gravement malade, le grand homme ne peut se rendre à la cérémonie. Alors, le ministre des Moudjahidine, Bakhti Nemiche, se déplace à Kouba (Alger) où réside l’homme à principes.
La distinction intervient au crépuscule d’un incommensurable parcours d’une icône qui prendra congé de ce bas mondeune année après, exactement le 24 décembre 1985. Selon un de ses fidèles compagnons, Amar Guemmache, le Tigre est parti avec un goût d’inachevé : il avait tant souhaité devenir maire de Sétif et être enterré à Sidi El Khier.
1)- Informations appuyées par l’acte de naissance original remis
par Boukefous Nouredine Ben Embarek et Mokhtar Fennour
2)- Deux Jijéliens, défenseurs invétérés de l’incommensurable legs de Ferhat-Mekki Abbas, lesquels ont grandement contribué à la confection de ce dossier
3)- Propos du Moudjahid L. Bennattia, ex-officier supérieur de l’ANP
4)- Photos remises par Mokhtar Fennour et Sedadka Rabah dit Cheikh Nouari, un autre abbassiste
Kamel Beniaiche